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OH! J\'ERUSALEM ...

OH! JÉRUSALEM ...

par le rabbin Josy EISENBERG



Plus que jamais, en ces jours où se joue une fois de plus l'avenir d'Israël, il est difficile de penser à autre chose et de ne pas placer en exergue de notre vécu quotidien, de manière obsessionnelle, l'exclamation du poète: « Mon coeur est en Orient, et moi en Occident. »

Du fait que nous vivons en Diaspora et subissons au quotidien les agressions des médias, cette dualité nous interpelle même doublement. Elle m'amène d'abord à un constat, puis à poser quelques questions, et enfin à une mise au point relative à Jérusalem.


MA FORCE ET MON DROIT

Le constat est pénible, à penser et à dire. Depuis la création de l'Etat d'Israël, nous étions accoutumés à y voir l'expression d'une réparation historique fondée en droit. Elle reposait sur d'innombrables justifications historiques, politiques, religieuses et humaines auxquelles la décision de l'O.N.U semblait bien avoir donné une légitimité irréfragable. Si besoin était, pour les esprits chagrins, on pouvait même recourir à la théorie marxiste selon laquelle la terre appartient non point à qui la possède juridiquement, mais à qui la travaille: la transformation par le sang et la sueur des pionniers d'un terroir laissé en friche des siècles durant en une terre fertile donnait encore plus de poids à la rédemption de la terre d'Israël.

Toutes ces justifications subsistent bien évidemment. Mais force est de constater qu'elles ne suffisent absolument pas à assurer la pérennité d'Israël. Sans Tsahal , ni le droit ni la reconnaissance internationale ne pèseraient bien lourd face à l'océan de haine destructrice qui entoure Israël. Si tant est qu'elle ait jamais réellement existé, c'est la fin d'une illusion hyper-gratifiante. Elle est pénible pour le croyant comme pour l'humaniste: je revendique cette double identité. Constat particulièrement traumatisant lorsqu'il est fait à l'issue de Hanoukkah, où nous lisons à la synagogue le fameux verset de Zaccarie qui figure au fronton de la synagogue de Strasbourg: « Ni par la force, ni par la puissance, mais par mon esprit ». Ce verset est d'autant plus troublant qu'il a été prononcé dans des circonstances très similaires à celles que nous vivons: après le premier Retour des exilés, dans la Judée dévastée et face aux accusations et dénonciations des ennemis d'Israël, en l'occurrence les Samaritains. Pure coïncidence ? Ils vivaient à Samarie, aujourd'hui Naplouse.

Au cours d'un récent entretien, le rabbin Daniel Epstein proposait de comprendre la prophétie de Zaccarie de la manière suivante: il viendra un temps où ce ne sera plus parce qu'Israël est fort que sa légitimité sera reconnue. Acceptons-en l'augure et faisons confiance au prophète: mais le moins que l'on puisse dire, c'est que nous n'en sommes pas là.

Certes, conformément à l'adage qui dit: « Quand je me regarde, je me désole; quand je me compare, je me console », il est loisible d'observer que tous les Etats se sont construits sur le principe de la force, secondairement entérinée par le droit. Il suffit pour cela de considérer l'évolution de la carte de l'Europe depuis un siècle. C'est la force des vainqueurs qui a dicté les changements de souveraineté. Qui conteste aujourd'hui la frontière Oder-Neisse, l'exode massif des Allemands des Sudètes ou le rattachement de l'Alsace-Lorraine à la France ? On peut poser la même question pour Jérusalem-Est, conquise à la suite d'une guerre défensive, en réponse à une agression arabe. Les Jordaniens auraient-ils rendu Jérusalem-Ouest s'ils l'avaient conquise ? N'y a t-il donc aucun prix à payer lorsque d'agresseur on devient vaincu ? Israël, qui a déjà rendu tant de territoires, devrait-il donc être la seule nation du monde à perdre le prix de victoires payées du sang de ses enfants ? Existe-t-il un précédent dans l'histoire où une nation a retrouvé la libre disposition de son lieu le plus sacré, objet d'une vénération, d'une attente et d'un amour multiséculaires, et doive renoncer à ses droits les plus légitimes au nom d'arguments pour le moins spécieux, sur lesquels je reviendrai ? Ce serait là une bien étrange et aberrante injustice de l'histoire.


QUESTIONS D'ACTUALITÉ

Mais, m'objectera-t-on fort justement, un tel argument ne vaut- il pas pour toute la Cisjordanie, et n'exclut-il pas tout droit des Palestiniens à un Etat? Ma réponse ne sera certes pas partagée par tous les croyants, à commencer par ceux qui vivent dans les territoires. Une notable partie d'entre eux se fonde sur les sources bibliques et rabbiniques pour refuser la perspective d'un Etat palestinien. Dieu n'a-t-il pas promis à Israël toute la Terre Sainte, sans nuances ni plan de partage ?

Il me semble cependant que, précisément, nous n'avons pas à interférer avec les insondables desseins de la Providence. Somme toute, c'est elle qui a permis aux Arabes de s'installer en Erets Israël. C'est encore elle qui a assisté, sans sourciller, à l'édification de mosquées sur le Mont du Temple. Tout compte fait, ce sont également des enfants d'Abraham qui y prient, et notre défunt sanctuaire leur accorde l'hospitalité. Le roi Salomon n'appelait-il pas tous les peuples à venir y prier ? Il ne nous appartient pas d'être plus royalistes que le Roi des rois: le destin de la Mosquée concerne Dieu, et là où ils vivent, les Palestiniens ont le droit de disposer d'eux-mêmes. Cela n'exclut évidemment pas des rectifications de frontières et le droit des grands groupements juifs qui se sont installés dans les territoires à y demeurer, en échange, comme cela semble proposé dans les actuelles négociations, d'autres territoires cédés par Israël. Tout cela semble conforme à la foi, à l'équité et au bon sens.

Il reste, alors qu'Israël semble disposé à de larges concessions, qu'on est en droit de se poser quelques questions, auxquelles chacun, bien entendu, apportera sa réponse personnelle.

1) Les revendications territoriales des Palestiniens se réduisent-elles au retrait des territoires occupés ? Si une majorité d'Israéliens accepte l'existence du peuple palestinien et ses droits nationaux, y a-t-il réciprocité ?

2) Les écoles et les media palestiniens enseignent la haine des Juifs. La paix est-elle possible sans un changement radical de ces moeurs qui rappellent de sinistres méthodes ? Golda Méir disait:

« Nous aurons la paix lorsque les Palestiniens aimeront leurs enfants autant qu'ils nous haïssent. »


HAÏR À PERDRE LA RAISON

A propos d'enfants, tout semble avoir été dit sur les enfants palestiniens offerts vivants au Moloch de la haine. Je m'étonne cependant de constater que les media continuent de verser dans la martyrologie. Récemment, le journal Libération a cru bon de consacrer une page entière au père du petit Mohammed Al-Dourra, qui déclare notamment: « les Israéliens ont tué mon fils parce qu'ils ne veulent pas que les Palestiniens existent. C'est pour cela qu'ils tuent les plus jeunes. Pour qu'ils ne puissent pas faire d'enfants ». Un journal français est-il donc obligé de citer, sans commentaires, d'aussi monstrueuses et répugnantes accusations ? Les pères arabes sont-ils donc seuls à souffrir ? A la suite d'un attentat, trois gamines israéliennes, trois soeurs, ont été amputées: Libération accordera-t-il une page à la douleur de leurs parents ?


MON GRAND-PÈRE ET MON PETIT-FILS

J'en viens à ce qui constitue une des pierres d'achoppement de la paix: le problème de la souveraineté sur Jérusalem-Est et particulièrement le Mont du temple. Il mériterait de longs développements. Je me contenterai de quelques brèves observations.

1) Le terme de souveraineté (Ribonout ) pose un problème au croyant, habitué à ne l'attribuer qu'à Dieu, appelé dans nos prières Ribono chel Olam : Souverain du monde. C'est la théorie, et nous ne devons jamais l'oublier, surtout en cette année sabbatique qui remet en question la possession sans limites de l'espace. Dans la pratique, ce n'est pas de cela qu'il s'agit, mais du droit de posséder le plus ancien vestige de notre histoire. Il s'agit là d'un symbole d'une très grande force. Le nier, comme le fait la propagande palestinienne - Arafat a récemment déclaré que les Juifs n'avaient aucun lien avec Jérusalem ! - c'est tout simplement scier la branche de la légitimité d'Israël. Reconnaître, comme l'a toujours fait Israël, le droit des Palestiniens à gérer leurs lieux saints est une chose; mais nier que le Mont du Temple fasse partie de la Jérusalem juive n'est rien d'autre qu'une forme perverse du néga-sionisme qui s'abrite derrière le manteau pudique de la religiosité.

2) Voilà qui m'amène à une mise au point fondamentale. Un étrange consensus s'est fait dans les opinions publiques comme chez les hommes politiques sur l'amalgame des droits politiques et des droits religieux. La dévotion à un lieu saint ne saurait cependant conférer le moindre droit à la souveraineté politique. Lourdes, Avila, Compostelle, la grande mosquée de Paris, telle synagogue ou tel camp d'extermination devraient-ils recevoir un statut d'exterritorialité et être placés sous la souveraineté des divers croyants pour lesquels ces lieux sont sacrés ? Reconnaître aux Palestiniens une quelconque souveraineté politique sur le Mont du Temple serait au demeurant aussi absurde que périlleux. Israël en a fait l'expérience un récent vendredi, le résultat ne s'est pas fait attendre: les Juifs, assaillis de pierres, ont dû fuir le Kotel.

Si les deux parties trouvent une solution favorisant la gestion palestinienne du Mont du Temple sans pour autant que les Juifs aient à composer avec la police palestinienne pour accéder à leurs maisons et au Kotel, qui ne s'en réjouirait !

A l'attention des dirigeants israéliens, quels qu'ils soient, je dédie l'anecdote suivante. Au début de l'année 1947, Ben Gourion s'est vu proposer par l'O.N.U un avant-projet de partage. Perplexe, il téléphona à un ami qu'il estimait entre tous, Tabenkin, pour lui demander conseil. Tabenkin lui demanda vingt-quatre heures afin de consulter deux personnes dont l'opinion, disait-il, était très importante pour lui. Le lendemain, il informa à Ben Gourion: la réponse est « non ». Bien, dit Ben Gourion, mais puis-je au moins savoir qui sont ces deux personnes ? L'une répondit, Tabenkin, c'est mon grand-père qui n'est plus; l'autre, mon petit-fils, qui n'est pas encore né.


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On 28 Jan 2001, 16:00.