D. Hansel
Le tsimtsoum du En Sof c'est à dire la contraction de l'Infini est, dans la cabale de Isaac Louria, le processus primordial qui est à l'origine des mondes. Hayyim Vital, l'un des quatre principaux disciples du maître de Safed, décrit le tsimtsoum en ces termes :
Sache qu'avant que ne soient émanés les émanés
et que les créatures ne soient créées, une lumière supérieure
simple remplissait toute la réalité. Il n'y avait
aucune place libre, sous l'aspect d'un air vide et d'un creux, mais tout était
rempli de cette lumière infinie simple; elle n'avait ni début ni fin;
tout était lumière, une, simple, homogène d'une homogénéité
une, et c'est ce que l'on appelle la Lumière de l'Infini (Or En Sof).
Lorsque ``monta à sa volonté simple" de créer les
mondes et d' émaner les émanés pour manifester
la perfection de ses actions, de ses noms et
de ses attributs, ce qui était la cause de la création des
mondes, alors, il se contracta lui-même, l'Infini, en son point central,
vraiment au milieu; et il contracta cette lumière, qui s'éloigna
sur les côtés, autour du point central. Il resta alors : une place
vide, de l'air, un creux vide, de ce point central vraiment...
:
Ce texte est bien obscur et il n'est pas étonnant qu'il ait fait l'objet
d'une multiplicité de lectures !
On peut regrouper les interprétations classiques des cabalistes
en deux grandes catégories : les interprétations littérales et les
interprétations allégoriques.
Pour les tenants de l'interprétation littérale, le tsimtsoum,
est un retrait par lequel l'Infini et les mondes se sont séparés.
Au contraire, pour les interprétations
allégoriques, le tsimtsoum signifie non pas un retrait, mais
une dissimulation de
la présence de l'Infini dans le monde. Par conséquent, le tsimtsoum
n'a de réalité que du point de vue des créatures et
n'affecte pas l'Infini lui-même.
Néanmoins, ces deux types d'interprétations ont un point commun. Dans les deux cas, l'Infini signifie Dieu. Le tsimtsoum, en fin de compte, concerne Dieu, qu'il s'agisse pour les ``littéralistes", de Dieu pris en lui même ou pour les ``allégoristes", de Dieu considéré selon sa manifestation. Par le tsimtsoum, le En Sof, c'est-à-dire Dieu, laisse la place à l'être fini autre que lui. Toutefois, il faut souligner qu'après le tsimtsoum, on ne parlera plus de Dieu mais du divin. Le tsimtsoum substitue à la théologie, la science du divin, science des relations entre les niveaux d'être qui constituent et hiérarchisent les 5 mondes dont parle la cabale de Louria : l'Homme Primordial, les mondes de l'Emanation, de la Création, de la Formation et de l'Action.
L'objet de cet article est de présenter la doctrine du tsimtsoum chez Rabbi Yehouda Halevi Ashlag, l'un des principaux cabalistes du XXème siècle. Ashlag interprète le tsimtsoum dans une perspective totalement nouvelle : pour lui, cet acte de contraction n'affecte pas Dieu mais le monde.
Malgré sa stature, Ashlag
a été quasiment ignoré des études universitaires,
La première partie de cet article est consacrée à une brève
biographie de ce très grand cabaliste.
Je présenterai ensuite son interprétation du tsimtsoum
ainsi que certains de ses enjeux.
Rabbi Leib Yehouda Halevy Ashlag est né le 14 septembre 1885 à Varsovie.
Il fut remarqué très tôt pour ses qualités exceptionnelles.
Il fut élève de Rabbi Meir Shalom Rabinovitch
de Kaloshin, petit-fils du ``Saint Juif" de Pshiskha, le ``Yehoudi Hakadosh".
A la mort du rabbi de Kaloshin, Ashlag poursuivi ses études auprès
du fils de ce dernier puis il se rapprocha d'un autre maître hassidique,
le Rabbi de Prossov.
Le troisième maître qui joua un rôle important dans la formation
de Ashlag fut Rabbi Issachar Dov de Belz, un autre maître du hassidisme,
auquel il rendait visite très fréquemment.
Ashlag appartient donc à une certaine tradition hassidique.
De qui a-t-il appris la Cabale ? Dans l'une de ses lettres, il raconte sa rencontre
avec un maître mystérieux dont il refuse de révéler l'identité.
Ashlag rapporte qu'il étudia avec lui chaque nuit, trois mois durant.
Sa mission d'interprète de Louria, Ashlag dit l'avoir reçue au cours
d'une vision prophétique dont il fait le récit dans un texte
qui à été récemment publié
.
Il ira jusqu'à se considérer
comme la réincarnation d' I. Louria. Alors qu'il allait avoir 36 ans,
il décida brusquement de quitter Varsovie pour
s'installer en terre d'Israël.
Il y passera l'essentiel de la deuxieme partie de sa vie,
exercant plusieurs fonctions rabbiniques,
en particulier à Guivat Shaul, banlieue proche de Jérusalem.
Il rassembla autour de lui un groupe d'élèves qui contribuèrent
à propager son enseignement.
Ashlag est l'auteur d'une uvre très importante. Il est avec Shlomo
Eliashiv
et Itskhak Hacohen
Kook
,
l'un des trois principaux maîtres de la cabale du XXème siècle. Son
ouvrage le plus connu et le plus diffusé est une traduction littérale du
Zohar, de l'araméen en hébreu, assortie d'un commentaire intitulé
``l'Echelle" ou ``Soulam". Interprète de la cabale de Louria, dans
son Panim Mehirot ve Panim Masbirot, écrit lors d'un séjour à
Londres en 1926 , et publié l'année d'après à Jérusalem, il y propose une
lecture très originale du Ets Hayyim. Cet ouvrage étant jugé trop
difficile, il publie en 1933 le Talmoud Esser Sephirot
, un commentaire de
morceaux choisis des textes de Vital, accompagné d'un dictionnaire des
termes cabalistes ainsi que d'exercices permettant au lecteur de vérifier
sa progression dans son étude. Ashlag est également l'auteur d'une série
d'articles écrits, suivant ses termes, dans ``un langage scientifique" et
destinés au grand public, aux ``religieux" comme aux
``laïques"
. Certains de ces articles
parurent d'abord dans un journal qu'il avait créé, mais qui fut très
rapidement interdit par les autorités du mandat anglais, pour avoir
propagé une doctrine politique jugée trop proche du marxisme
.
Cette doctrine, sa relation avec l'engagement sioniste
d'Ashlag
et avec sa pensée cabalistique
mériteraient une étude séparée.
Je ne l'évoquerai pas plus ici.
Ashlag est mort en 1955. Actuellement, sa pensée
est étudiée dans plusieurs cercles cabalistes, surtout en Israël.
Venons en maintenant à la façon dont Ashlag comprend le texte du Ets Hayyim que nous avons cité ci-dessus.
En préambule à son commentaire de ce texte
Ashlag nous met en garde
.
D'emblée il nous avertit qu'on ne parle pas de cosmologie.
En effet, toute la science de la cabale traite de sujets
purements abstraits qui n'appartiennent ni à l'espace,
ni au temps.
Il ne faut donc pas comprendre notre texte suivant ces catégories.
Quel est donc ce temps que semble suggérer
l'expression de Vital :
`` Avant que ne soient émanés les émanés...." ? N'est-il pas question
d'un temps ? Mais comment pourrait-on parler d'un temps
avant toute création ?
Ashlag nous enseigne quel est le sens général du mot ``temps" dans la cabale.
Il s'agit toujours ``de changements de formes qui
s'enchaînent les unes les autres". ``Avant" et ``après" signifient
``cause" et ``conséquence" au sens logique.
Le temps dont il est question chez Louria, est d'après Ashlag,
ce qui permet de repérer la place d'une forme dans
un processus d'engendrement conceptuel.
Le tsimtsoum ne doit donc pas être compris comme
l'origine du monde dans un sens chronologique.
Ashlag donne un deuxième avertissement : le texte de Vital ne parle jamais de Dieu pris du point de vue de son essence. Dès le début du Ets Hayyim, au moment où il s'apprête à décrire le tsimtsoum, Vital parle de ``lumière supérieure". La ``lumière supérieure" n'est pas l'essence divine elle-même, mais son épanchement.
Poursuivant son commentaire, Ashlag soulève alors une difficulté : quelle est donc
cette ``réalité" (metsiout) primordiale qui est ``remplie de
lumière supérieure et simple" ? Autrement dit : quelle réalité peut
précéder logiquement l'émanation et la création ? La réponse d'Ashlag est
radicale. Cette réalité n'est pas Dieu mais le monde. Le monde se
présente sous deux modalités différentes, selon qu'on le considère avant
le tsimtsoum, en tant qu' En Sof, l'Infini, ou après, sous la
forme des cinq mondes, de l'Homme Primordial jusqu'au Monde de l'Action.
L'Infini dont parle la cabale n'est plus Dieu comme chez les autres
cabalistes, mais une modalité du monde comme le précise Ashlag en
commentant le texte de Vital.
Comme le dit Vital, avant
le tsimtsoum, l'Infini est rempli d'une lumière une et homogène. Pour
Ashlag cela signifie qu'il ne contient aucun vide qui nécessiterait
d'être comblé et, en d'autres termes,
qu'aucun perfectionnement ne doit et ne peut y être opéré. Cela dit, Ashlag
n'est pas panthéiste. Au delà de l'Infini, il y a encore un Dieu dont la
cabale ne parle pas sauf comme origine du monde dans son infinie
perfection. Alors que Dieu ou plus précisément le Créateur est la source
de la lumière, l'Infini est le lieu qui la reçoit et en est
parfaitement rempli. D'emblée, Ashlag se démarque de ses prédécesseurs :
Dieu est le Créateur, source de la lumière primordiale, tandis que
l'Infini n'est pas Dieu mais le monde, sous sa modalité idéale et
parfaite. Ashlag opère donc un retournement radical de perspective par
rapport à la cabale de ses prédécesseurs.
Avec le tsimtsoum, le monde perd sa perfection. Il apparaît alors
sous sa deuxième modalité : sous la forme de cinq mondes. Ces mondes
étant imparfaits, les actions réparatrices de l'homme y ont une place et
constituent, par la perfection qu'elles instaurent, le sens ultime de la
création.
D'après Ashlag, c'est de cette réparation (tikkun) dont
parle le Ets Hayyim, lorsqu'il énonce que la cause de la création des
mondes est de ``manifester la perfection de ses actions, de ses noms et
de ses attributs". Les ``actions" sont, selon lui, ``les réparations qui
se déroulent et se produisent dans les mondes ..". On notera le paradoxe : en faisant perdre au monde sa
perfection, le tsimtsoum rend possible un processus de réparation
qui permet à la perfection de se manifester ! Pourquoi ce détour ?
S'agit-il de revenir à la situation initiale où le monde était parfait ?
Je reprendrai cette question à la fin de cet article.
Mais en quoi consiste le tsimtsoum ?
Pour Ashlag, avant et
après le tsimtsoum, deux volontés sont à l' uvre
et même constitutives du monde :
la volonté de donner et la volonté de recevoir.
Ashlag désigne également la volonté de donner sous les noms
de ``projet de la création" (makhshevet haberiah), de
``volonté de faire profiter les créatures".
Mais pour que cette volonté puisse
arriver à ses fins il faut quelqu'un pour recevoir
ce qu'elle veut donner. Or, pour Ashlag, le fait qu'aucune
contrainte ne peut exister dans les mondes supérieurs
est un axiome
.
La volonté de donner implique donc l'existence
d'une volonté de recevoir. Dans le langage de la cabale
on dira que la volonté de donner est la ``lumière"
(or) tandis que la volonté de recevoir est le ``réceptacle"
(keli). Ashlag montre par une analyse raffinée
les étapes par lesquelles
la volonté de recevoir dérive de la volonté de donner.
Elles aboutissent à la constitution
d'une volonté de recevoir indépendante tout
en structurant les mondes avant et après le tsimtsoum.
Il y a 5 étapes, correspondant aux 5 ``personnes" (partsoufim)
de la cabale de Louria. La cinquième personne porte le nom
de Malkhout, la ``Royauté", caractérisé par une
volonté de recevoir parfaitement constituée et indépendante, la
``volonté de recevoir pour recevoir" (ratson lekabel al menat lekabel).
La volonté de recevoir est la substance même de l'être créé.
Elle le définit comme être séparé de Dieu.
Mais cela est également déjà vrai, sous une certaine modalité,
de l'Infini avant le tsimtsoum.
Parce qu'une volonté de recevoir y est présente, on peut
le qualifier d'émané et en parler.
On distingue dans l'Infini deux volontés. La volonté de donner
est la ``lumière de l'Infini", (or En Sof), tandis que
la volonté de recevoir s'appelle ``Royauté de l'Infini",
Malkhout de En Sof.
Mais attention ! On aurait tort de penser que dans l'Infini,
avant le tsimtsoum,
la différence de forme entre volonté de recevoir
et volonté de donner tirerait réellement à
conséquence en introduisant une différence hiérarchique.
Ce n'est pas le cas : dans l'Infini, la volonté de recevoir est
indissociable de celle de donner. D'après Ashlag, tel est
le sens de la proposition célèbre du
Pirkei De Rabbi Eliezer:
``Avant que le monde ne soit créé, Lui et Son Nom étaient
un". Pour Ashlag, ``Lui" désigne la volonté de donner
et ``Son Nom" celle de recevoir. Le nom d'une personne
est indissociablement liée à la personne qu'il nomme.
C'est par sa médiation qu'elle se manifeste.
Il en est de même de la volonté de recevoir qui,
dans l'Infini, permet à la volonté
de donner de se manifester.
Précisons encore un peu plus la relation qui s'établit,
dans l'Infini, entre la volonté de recevoir et celle de donner.
Le point central entouré de lumière dont parle le texte
que nous avons cité désigne dans l'Infini la volonté de recevoir,
qui, avant le tsimtsoum, est totalement comblée par le bien
infini que lui épanche la volonté de donner.
Il n'y a, à ce stade, place pour aucun besoin.
Tel est, selon Ashlag, le sens de l'expression `` En Sof",
l'Infini .
L'Infini complètement rempli de lumière, sans défaut ni manque à combler, est un monde statique. Quel événement pourrait s'y produire ? Qu'est ce qui pourrait arriver aux créatures, c'est-à-dire à la volonté de recevoir, puisqu'elles n'ont rien à espérer de plus, ayant déjà tout?
Pour répondre à cette question,
Ashlag, fait appel au principe ontologique fondamental selon lequel
tout être désire ressembler à sa cause.
La Royauté de l'Infini, être créé, n'échappe pas à ce principe. En
acceptant l'épanchement de la lumière infinie qu'elle reçoit
elle se séparerait complètement de sa cause qui est pur don.
Pour lui ressembler, la Royauté de l'Infini désire donc donner.
Ce n'est pas un manque à combler qui provoque ce désir de la Royauté.
Bien au contraire, il résulte du trop plein d'être qu'elle ressent.
Elle se trouve par là-même écartelée entre ce qui
constitue sa raison d'être - le fait de recevoir un bien infini - et un
désir d'aller au-delà de cet être en se rapprochant de sa cause.
C'est ainsi qu'Ashlag comprend le texte
cité ci-dessus : ``lorsque monta à sa volonté simple" signifie
``lorsque la volonté de recevoir s'est élevée, en se raffinant et en
s'attachant (à la lumière supérieure)". L'expression ``monta à sa volonté"
ne signifie donc pas un mouvement à l'intérieur de la volonté comme chez
Luzzato. Elle désigne le mouvement d'une volonté, de la volonté de
recevoir (la Royauté de l'Infini) qui, ne se contentant pas de sa
situation, veut s'élever pour se rapprocher de la lumière supérieure afin
de se transformer en volonté de donner. Ashlag insiste sur le fait que ce
mouvement vient d'un choix libre. Il le nomme ``embellissement
(quichout) de la Royauté
de l'Infini" et l'assimile à un bijou dont Royauté de l'Infini veut
se parer. Ce libre choix, qui n'est motivé par aucun manque, est un
mouvement de pure bonté antérieur à toute distinction entre le
bien et le mal. Une telle distinction supposerait une hiérarchie de
niveaux d'être qui est absente de l'Infini avant le tsimtsoum. Ce
mouvement de ``montée" est le désir de se tourner vers autre que soi.
Pour reprendre une expression d'E. Levinas, c'est un désir
métaphysique
.
Il est important de préciser que ce mouvement d'élévation ne conduit en aucune facon à une fusion de la Royauté de l'Infini avec Dieu. Une telle fusion signifierait la disparition totale de la volonté de recevoir. Ce n'est pas ce qui se passe dans le processus du tsimtsoum. Le désir d'attachement à la lumière, de ``devekout", reste un désir et la séparation persiste. La volonté de recevoir ne peut être annulée par le tsimtsoum car cela signifierait que personne ne recevrait la lumière et cela irait à l'encontre du ``projet de la création". La volonté de recevoir est seulement contractée comme le dit le texte de Vital : ``Voilà alors, il se contracta lui même, l'Infini, au point central qui est en lui, vraiment au milieu". La volonté de recevoir est seulement mise de coté, pour un temps. Plus tard elle revêtira une nouvelle forme : celle de recevoir en vue de donner. Nous y reviendrons dans un instant.
Conéquence immédiate du tsimtsoum de Royauté de l'Infini,
La lumière se retire de tout l'Infini.
En effet, comme il ne saurait y avoir de contrainte dans l'Infini,
si la volonté de recevoir qui y est présente
ne veut plus s'exercer, l'Infini ne peut plus recevoir.
C'est ainsi qu'Ashlag explique la suite du texte de Vital :
``Et il contracta cette lumière, qui s'éloigna sur son
pourtour, autour du point central".
Le tsimtsoum consiste donc en deux événements
qui se produisent simultanément : le premier concerne
la volonté de recevoir qui se contracte. Le deuxième
est un retrait de la lumière du l'Infini. Ashlag insiste sur le fait
que le tsimtsoum n'affecte pas la
lumière elle même.
Il la
dissimule seulement aux créatures, car
ces dernières ne voulant pas recevoir, la volonté de donner ne
peut être effective. Les créatures ne peuvent donc pas percevoir la
lumière. De leur point de vue
tout se passe comme si elle avait disparu.
La pensée d'Ashlag opère donc une synthèse entre une position de type allégoriste et une position de type réaliste. La contraction de la volonté de recevoir est une réalité de la création. En revanche, le retrait de la lumière ne touche pas la volonté de donner. Il n'en est que la dissimulation. Refusant de recevoir, la créature ne peut percevoir la volonté de donner. Le tsimtsoum a ainsi deux aspects : un aspect réaliste et un autre que l'on peut qualifier d'idéaliste.
Conséquence de la contraction de la lumière, ``elle s'éloigne autour du point central". De quel éloignement s'agit-il ? Il ne se produit pas dans l'espace physique, bien entendu. Pour Ashlag, l'éloignement de la lumière sur le pourtour de l'Infini signifie qu'avec le tsimtsoum, la différence de forme entre volonté de donner et volonté de recevoir va tirer à conséquence. Avant le tsimtsoum, il y avait bien une différence entre ces deux volontés mais, comme nous l'avons dit, cela n'avait pas de conséquence. Tel n'est plus le cas après le tsimtsoum. La volonté de recevoir et celle de donner se sont éloignées l'une de l'autre.
Que se passe-t-il donc après le tsimtsoum ? La situation où l'Infini est vide de lumière ne peut persister car dans ce cas, la création perdrait son sens. La lumière va donc revenir dans ce vide, mais cette fois, canalisée, sous la forme d'une ligne lumineuse, d'un épanchement limité. Une hiérarchisation entre niveaux d'être se constitue également. En effet, ce qui était un choix libre de la Royauté de l'Infini devient obligation. La Royauté de l'Infini avait refusé de recevoir pour elle même, par désir métaphysique. Maintenant recevoir pour soi fait l'objet d'un interdit. Deux hiérarchies de mondes se constituent. Dans l'une, les créatures ne reçoivent qu'en vue de donner, c'est-à-dire de manière désintéressée. Ces mondes sont ceux du Bien. Dans l'autre hiérarchie, les créatures reçoivent pour elle-mêmes, ce sont les mondes du Mal. Le mal, pour Ashlag, se définit donc essentiellement comme volonté de recevoir pour soi, et pour soi seulement, c'est-à-dire comme égoïsme. Le processus de réparation des mondes consistera à opérer dans cette deuxième hiérarchie, une transformation de la volonté de recevoir pour soi en volonté de recevoir pour donner (ratson lekabel al menat lehashpia). Précisons à nouveau, qu'au terme de cette réparation, la volonté de recevoir n'a pas disparu : elle s'est transformée.
Le bien et le mal apparaissent donc lors du tsimtsoum. Il ne s'agit
pas d'une révélation d'un mal qui aurait déjà existé auparavant, noyé et
invisible dans le bien. Les spécialistes de la cabale lourianique ont
trop eu tendance à voir le tsimtsoum et plus généralement
l'histoire du monde, comme une purification en Dieu, grâce à laquelle le
mal et le bien initialement présents ensemble en Dieu se seraient
séparés. A cet égard, certains textes des
élèves de Louria pourraient peut être prêter à confusion. Chez Ashlag il
n'en est rien. En effet, comme nous l'avons vu, ni le bien ni le mal
n'existaient avant le tsimtsoum. Il n'y
avait qu'une bonté infinie et, indissociablement, pour que cette bonté puisse
être effective, une volonté de recevoir.
Résumons l'essentiel de notre propos.
Ashlag perçoit dans la structure même de notre monde,
l'existence d'une contradiction fondamentale.
Deux volontés y sont à l' uvre :
la volonté de donner et la volonté de recevoir.
La volonté de recevoir, conséquence inévitable de la volonté de donner,
recèle une indignité. Le tsimtsoum décrit par Louria,
se produit dans le monde et
permet de trouver une solution à cette contradiction.
Le tsimtsoum est l'origine de la morale. Il amorce l'histoire du
monde dont la finalité est la constitution d'une forme nouvelle,
la volonté de recevoir en vue de donner. Cette forme n'était pas
présente initialement dans l'Infini.
La perfection qui émerge à l'issue de la réparation est donc
différente de celle qui était présente avant le tsimtsoum.
L'histoire a un sens positif.
Elle n'est pas seulement un moyen de retourner à une
perfection originelle.
Pour Ashlag, ce qui est à comprendre n'est pas tant l'origine de l'être que celle de l'être moral, qui, pour lui, est au-delà de l'être. Avec toutes les réserves qui s'imposent, on pourrait trouver là une convergence avec ce que E. Levinas écrit dans Totalité et Infini :
``La merveille de la création ne consiste pas seulement à être
création ex nihilo, mais à aboutir à un être capable de
recevoir une révélation, d'apprendre qu'il est créé
et à se mettre en question. Le miracle de la création
consiste à créer un être moral."