On sait que d'une manière générale, les obligations et interdictions de la
Torah sont levées lorsque la vie humaine est en jeu, qu'il s'agisse de
sauver une personne en danger, de prodiguer des soins à un malade, ou
encore d'accomplir les actes nécessaires à la conduite de la guerre. C'est
ce qu'on appelle le principe du pikouah nefech, du sauvetage de
la vie. Ce principe apparaît dans le Talmud en de multiples endroits et
n'est pas contesté. La loi en tant que telle ne fait donc pas problème :
elle est partie intégrante de la Tradition orale, de la Torah
chebealpe. En outre, le plus souvent, sa mise en oeuvre concrète ne pose
pas de difficultés, si l'on excepte quelques situations ambiguës
indiquées dans le Shoulhan Aroukh et dont je ne traiterai pas ici.
L'objet de la présente étude est double. Dans une première partie, j'examinerai le fondement théorique du pikouah nefech. Il s'agit de tenter de répondre au moins partiellement à la question ``pourquoi ?'' En effet, si la loi par elle-même ne pose que peu de problèmes, on peut en revanche s'interroger sur son soubassement théorique, sur les raisons qui la justifient, sur la conception qu'elle exprime. Il faut pour cela, par delà le code, remonter au Talmud lui-même dont l'étude permet non seulement de reconstruire la genèse de la loi mais aussi d'en comprendre le sens.
Puis dans une deuxième partie, je développerai les limites que la tradition fixe à la loi du sauvetage de la vie. Il y a des situations où la Torah prescrit de se laisser tuer plutôt que de commettre un acte interdit. Il en existe de plusieurs types, la principale étant la réalisation du commandement appelé sanctification du nom, qidouch hachem. Sauvetage de la vie et sanctification du nom se présentent ainsi dans une polarité et même une contradiction dont il convient d'élucider le sens. Il serait malhonnête de gommer cette dualité par un énoncé sophistique faisant disparaître une notion comme étant la ``vérité'' de l'autre. Définir la sanctification du nom comme le ``véritable'' sauvetage de la vie, ou inversement le sauvetage de la vie comme la ``véritable'' sanctification du nom serait une mauvaise rhétorique confinant à la tricherie.