Rabbi Eleazar prit la parole et dit: si la circoncision qui ne porte que sur l'un des 248 membres de l'homme repousse le shabbat, à plus forte raison en sera-t-il de même lorsque le corps humain dans son entier est en jeu.
Rabbi Eleazar justifie le sauvetage de la vie sans faire appel à un
midrach du texte de la Torah. Il ne fait appel qu'à un raisonnement
a fortiori (kal vahomer), de sorte que son enseignement est techniquement
plus simple. Cependant, ce serait une erreur de croire que son raisonnement
n'est que pure logique formelle. Rav David Cohen, dans son livre La Voix de la prophétie
(kol hanevoua), a montré que le raisonnement a fortiori du Talmud
ne doit pas être confondu avec le syllogisme au sens d'Aristote, mais
qu'en réalité, tout raisonnement a fortiori est principiellement
fondé sur une induction, sur une extension par analogie. Le caractère
logique introduit par l'a fortiori vient en surimpression colorer
et appuyer l'induction initiale.
L'idée de Rabbi Eleazar est la suivante. La circoncision est ce que l'on appelle un tikoun hagouf, un perfectionnement du corps. La réalisation de la circoncision l'emporte sur le respect du shabbat puisqu'on l'effectue même le shabbat, du moins si elle est pratiquée en son temps, à huit jours. Cela est vrai en dépit du fait que ce perfectionnement ne concerne qu'un seul membre. A plus forte raison en sera-t-il ainsi lorsqu'il s'agit de préserver le corps dans son ensemble, de le préserver de la mort, nécessité dont l'importance dépasse celle de la circoncisio, laquelle ne constitue qu'un perfectionnement partiel. Pour Rabbi Eleazar, la loi du sauvetage de la vie est fondée sur l'importance que la Torah accorde au corps en tant que tel. Le corps, même si on le considère de manière purement instrumentale, est le socle sur lequel s'édifie l'ensemble de l'existence. Rien n'est plus étranger à la pensée talmudique que l'inattention à la corporéité.