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Morale juive et Morale Chrétienne - Elie Benamozegh (1822-1900)




Chapitre 9

AMOUR DES PÉCHEURS



9.1  Sens du reproche des Pharisiens à Jésus

Après la charité et le pardon des injures, il n'y a pas de vertu qu'on attribue plus volontiers à Jésus, ni qui paraisse distinguer plus particulièrement sa doctrine, que l'amour des pécheurs. Nous n'examinerons pas ce qu'il y avait d'habile et de politique, pour une doctrine nouvelle, à prêcher la réhabilitation de tant des proscrits de l'Église régnante, à faire appel à tous les mécontents du régime établi, à fonder, nouveau Romulus, la Rome chrétienne par les mêmes moyens qui acquirent à la Rome païenne son existence et sa grandeur, ou (pour chercher un modèle dans l'histoire hébraïque) à imiter Absalon donnant des poignées de main et des promesses, dans les antichambres de David, à tous ceux qui en sortaient mécontents. Quels qu'en soient les motifs, le fait est trop bien démontré pour qu'on puisse le révoquer en doute. Jésus s'entoure de pécheurs de toute sorte, nouveaux malades auxquels il apporte la guérison ; il absout par une simple parole une femme adultère, il s'assied à table avec la lie du peuple, et il semble étrangement équivoquer sur les reproches que les Pharisiens lui adressaient, non pas de s'approcher des pécheurs à l'effet de les convertir, mais bien de s'asseoir à leur table, de partager leurs repas, de se familiariser avec eux, avant qu'ils se fussent lavés de leur souillure183. Il oppose aux Pharisiens, qui n'avaient jamais songé à les contester, des doctrines que les Ecritures et la tradition n'avaient cessé d'accréditer parmi les Hébreux. « Que vous en semble, demande-t-il aux disciples ? Si un homme a cent brebis, et qu'il y en ait une qui se soit égarée, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres pour s'en aller dans les montagnes chercher celle qui s'est égarée ? Et s'il arrive qu'il la trouve, en vérité, je vous dis qu'il en a plus de joie que des quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées184 ». La même parabole reparaît dans Luc, à coté de deux autres du même genre185 : celle de la femme qui a perdu une drachme et celle de l'enfant prodigue. Eh bien ! nous avons dans un passage des prophètes l'idée et l'image tout ensemble dont Jésus va se servir contre les descendants et les imitateurs des prophètes : « La parole de l'Éternel me fut adressée, dit Ezéchiel186. Fils de l'homme, prophétise contre les pasteurs d'Israël, prophétise et dis à ces pasteurs : Ainsi a dit le Seigneur, l'Éternel : Malheur aux pasteurs d'Israël, qui ne paissent qu'eux-mêmes ! Les pasteurs ne paissent-ils pas le troupeau ? Vous, vous en mangez la graisse et vous vous habillez de leur laine ; vous tuez les brebis grasses, et vous ne paissez point le troupeau.. Vous n'avez pas soigné celle qui était malade, vous n'avez point bandé la plaie de celle qui avait la jambe rompue. Vous n'avez point ramené celle qui s'était écartée, et vous n'avez point cherché celle qui était perdue, mais vous les avez maîtrisées avec dureté et rigueur. Elles ont été exposées à toutes les bêtes des champs. Mes brebis ont été errantes sur toutes les montagnes et sur tous les coteaux élevés ; mes brebis ont été dispersées sur toute la face de la terre. Ainsi a dit le Seigneur, l'Éternel : Me voici, je redemanderai mes brebis et je les rechercherai. Comme le pasteur se trouvant parmi ses troupeaux recherche ses brebis dispersées, ainsi je rechercherai mes brebis et les retirerai de tous les lieux où elles auront été dispersées au jour de la nuée et de l'obscurité... Je rechercherai celle qui sera perdue, je ramènerai celle qui sera cachée, je banderai la plaie de celle qui aura la jambe rompue... Quant à vous, mes brebis,... voici, je vais mettre à part les brebis, les béliers et les boucs ». (Nous voyons ici l'origine de la distinction que Jésus fera, au Jugement dernier, entre les brebis et les boucs). Voilà sans doute un type qui a précédé de bien loin Jésus et sa doctrine, et qu'il ne pouvait oublier dans ses prédications. Mais nous devons plus particulièrement examiner ce que les Pharisiens ont enseigné à ce sujet, et si le pécheur leur a inspiré cet éloignement, cette horreur que les Évangiles leur reprochent.

9.2  Passage d'Ezéchiel. - Interprétation des Pharisiens

Deux idées ressortent des prédications de Jésus en cette matière. C'est d'abord le devoir de travailler à la conversion des pécheurs, la charité qu'on doit professer envers ces malheureux, les efforts qu'on doit faire pour les relever de leur chute. C'est ensuite la grandeur de ces mêmes pécheurs une fois convertis, la place éminente qu'ils occupent dans le cœur de Dieu, la couronne glorieuse qui leur est promise. Sont-ce là des idées inconnues aux Pharisiens ? Nous ne le demanderons pas à la Bible, elle s'est déjà prononcée par la bouche d'Ezéchiel. Il y a pourtant un précepte qui forme comme le point de transition entre les idées de la Bible sur cette question et celles des Pharisiens, c'est le précepte de la correction fraternelle ; et c'est un des points où, sans la tradition, le précepte mosaïque n'aurait eu qu'une partie de sa valeur. Que signifie-t-il selon la lettre, sinon une explication amicale sur quelque différend survenu entre amis ? C'est la seule tradition pharisaïque qui nous y montre le devoir de travailler à la conversion des pécheurs ; elle en a fait un commandement précis, rigoureux, qu'on doit pratiquer au prix même des épreuves les plus rudes pour notre amour-propre, au prix des affronts les moins tolérables, des injures les plus sanglantes, à tout prix enfin, hormis la honte et l'humiliation du pécheur. Car, à côté du précepte de l'admonition fraternelle, les Pharisiens voient comme correctif, destiné à en prévenir les abus, cette limitation que Moïse exprime par les mots velo tissa alav het et que les Pharisiens interprètent : « Reprends-le, mais de façon toutefois que tu ne t'exposes pas toi-même à pécher, c'est-à-dire à humilier, à faire rougir ton prochain ». Et, chose remarquable ! c'est à propos de cette même correction fraternelle que les Pharisiens énoncent l'idée même qui forme le fond de l'excessive tolérance de Jésus pour le pécheur ; à savoir, que personne n'est exempt de péchés ni n'a le droit, par conséquent, de juger trop sévèrement son prochain. N'est-ce pas Rabbi Tryphon qui, à propos de ce même précepte, a dit : « Je serais bien surpris s'il y avait quelqu'un dans cette génération qui connût l'art de reprendre. - Je le serais bien plus, ajoute un autre, s'il y avait quelqu'un qui sût profiter des remontrances. Pour moi, je ne le serais que si l'on me disait que quelqu'un a le droit de reprendre ; car si l'on dit à un autre : Ote ce fétu qui est dans ton œil, on recevra pour réponse : Ote cette poutre qui est dans le tien »187. Ou je me trompe, ou c'est bien là à la fois le langage et les idées de l'Évangile, moins l'abus qu'on en a fait.

9.3  Correction fraternelle. - Ses diverses formes. - Aaron, le modèle du prêtre. - Abraham, le modèle des apôtres

Nous ne parlerons pas des institutions qui, dans l'hébraïsme, n'avaient d'autre but que de ramener dans le bon chemin les âmes égarées ; de cette parole à qui Jésus dut mainte inspiration, et qui sans cesse retentissait au parvis du temple, dans l'intérieur des synagogues, dans les places publiques, lorsqu'à l'heure des grandes calamités on y conviait le peuple entier autour du plus ancien des docteurs, vénérable par sa science autant que par sa vertu, et qui faisait entendre à la multitude éplorée des accents tels que ceux-ci, que nous a conservés la Mischna188 : « Mes frères, ce n'est pas le cilice ni le jeûne qui procurent le pardon ; car la Bible ne dit pas au sujet des Ninivites que Dieu ait eu égard à leurs cilices ni à leur jeûne, mais bien à leur repentir et à leur amendement. Et il est écrit de même : « Déchirez vos cœurs plutôt que vos vêtements »189. Les Pharisiens avaient une si haute idée de la conversion des pécheurs, qu'il suffit d'un mot du prophète au sujet d'Aaron, à savoir « qu'il retira bien des gens du péché »190, pour que la tradition élève sur cette base un édifice magnifique, qui n'a rien à envier aux plus tendres effusions de l'Évangile en faveur des pécheurs. « Comment Aaron, se demande-t-elle, retirait-il les hommes du péché ? Lorsqu'il apprenait, par exemple, que quelqu'un s'était engagé dans une mauvaise voie, c'était assez pour qu'Aaron s'en fît un ami, un compagnon, pour qu'il recherchât soigneusement sa société. Qu'arrivait-il ? Que cet homme se disait en lui-même : Oh ! Si le saint prêtre connaissait ma conduite, comme il fuirait loin de moi ! Et c'était cette pensée même, sans cesse renouvelée, qui l'amenait peu à peu au repentir »191. Est-ce Aaron seulement que les Pharisiens érigent en ami du pécheur, en promoteur infatigable de sa conversion ? David avait déjà dit192 (2) : « J'enseignerai aux méchants tes sentiers, afin que les pécheurs reviennent à toi ». Cette espèce de spiritualisation appliquée par la tradition aux personnages de la Bible, atteint une bien plus haute antiquité : elle tend jusqu'à Abraham. Il est peut-être difficile de trouver dans la Genèse quelque chose qui ressemble à un apostolat du grand patriarche. Quelque phrase, sans doute, vient de temps à autre répandre sur la tête du pasteur, du melkh arabe, du soldat, du patriarche, une auréole bien autrement splendide que l'or et l'argent dont il était surchargé selon la Bible. Mais il y a gros à parier que, sans la tradition, une critique un peu sévère aurait eu grand'peine à y démêler une trace positive de l'apostolat d'Abraham. Si on l'accepte aujourd'hui, s'il est reçu même dans l'Église, c'est des mains des Pharisiens que nous le tenons, c'est à eux que l'honneur en revient, c'est leur génie qui a transformé les « esclaves acquis à Haran » en âmes de pécheurs gagnées à Haran (veet hanefech acher assou beharan)193.

9.4  Docteurs travaillant à la conversion des pécheurs. - Témoignage des Évangiles

De telles transformations sont-elles possibles chez qui ne mettrait pas la conversion des pécheurs au rang des plus grandes et des plus saintes vertus ? De fait, quelle profusion et quelle éloquence dans leurs exhortations ! « Quiconque reprend son prochain pour la gloire de Dieu, méritera de posséder l'héritage du Seigneurs »194. Aimer les hommes et les rapprocher de la Loi étaient des préceptes sur lesquels tombèrent toujours d'accord Hillel et Schammaï195. Le Zohar surtout trouve des accents si sublimes à la fois et si tendres que nous ne savons s'il serait possible de le surpasser. « C'est au juste qu'il appartient de poursuivre l'impie et de le reconquérir à tout prix ; c'est le plus grand hommage qu'il puisse rendre à l'Éternel... Oh ! Si le monde savait quel avantage, quel mérite il peut acquérir par les impies et par leur conversion, il s'attacherait à leurs pas comme on s'attache à la vie ». Pour un Rabbi Méir qui cédait quelquefois à l'impatience (comme Paul contre Alexandre le forgeron), nous avons un essaim des docteurs, qui ne voyaient dans le pécheur qu'un frère malade, qu'il fallait s'efforcer de guérir.

Nous ne mentionnerons ici que deux femmes et un docteur. L'une des femmes est Berouria, qui, en dépit de la grammaire, trouva dans les Psaumes « qu'il faut prier pour la mort du péché et non pour celle du pécheur »196. L'autre est bien plus ancienne, c'est la femme d'Abba Hilkiya, qui priait sans cesse pour la conversion de quelque pécheur de sa connaissance. Et sait-on ce que lui valut ce mérite ? Que lorsque les plus grands docteurs du siècle vinrent engager Abba Hilkiya, pauvre ouvrier, mais d'une sainteté exemplaire, à implorer de Dieu des pluies abondantes, mari et femme s'étant mis à prier chacun de son côté, les nuages commencèrent à monter sur l'horizon du côté de la femme ; et pourquoi ? « Parce qu'elle priait pour les pécheurs »197. - Le docteur, c'est Rabbi Zéra, qui recherchait la société des pécheurs afin de les corriger, et qui poussait la familiarité avec eux au point d'encourir le blâme de ses collègues. Or, Rabbi Zéra mourut, et alors ces vauriens ( Varionê) dirent en leur cœur : « Jusqu'à présent il y avait le petit docteur aux pieds brûlés qui priait pour nous ; à présent qu'il est mort, qui va prier pour nous ? » Dieu toucha leur cœur et ils se repentirent198. Mais que pourrions-nous désirer de mieux que le témoignage des Évangiles ? Eh bien ! les Évangiles eux-mêmes attestent., d'une manière on ne peut plus solennelle, le zèle extrême que les Pharisiens déployaient dans la conversion des Gentils. « Malheur à vous, s'écrie Jésus199, Scribes et Pharisiens hypocrites ! car vous parcourez la mer et la terre pour faire un seul prosélyte, et quand vous, l'avez acquis, vous le rendez digne de la Géhenne deux foix plus que vous ! ».

9.5  Privilèges des convertis. - Les Gentils

Le pécheur une fois converti a-t-il rien à envier au sort des plus justes ? Jésus, nous venons de le voir, s'empresse de le mettre au-dessus de ceux qui n'ont jamais péché ; et cela toutefois sans établir des distinctions que le bon sens, la justice, la morale exigent impérieusement et que les Pharisiens n'ont eu garde d'oublier. Est-il possible, en effet, que toute espèce de converti puisse aspirer à ce degré suprême de bonheur, de récompense, qui attend les plus grands d'entre les justes ? Jésus, qui veut à tout prix appeler à lui les pécheurs, oublie toute réserve. Les Pharisiens, mieux avisés, n'y ont pas manqué. C'est pourquoi ce pécheur converti que nous allons considérer, c'est le pécheur converti par excellence, celui qui a rempli toutes les conditions d'une grande pénitence, qui par un an, un jour, une heure d'héroïsme et d'abnégation, a effacé tout un passé de libertinage ou de crimes. Ce converti-là, certes, n'a pas de meilleurs amis, d'apologistes plus éloquents, de plus généreux panégyristes que les Pharisiens. « Une heure de pénitence et de bonnes œuvres dans monde, disent-ils, vaut mieux que toute la vie du monde à venir »200, sans doute parce qu'elle peut la mériter tout entière. Est-ce que les Pharisiens n'auraient accordé de valeur qu'aux œuvres, qu'aux actes extérieurs, comme on serait tenté de le croire d'après les imputations de l'Évangile ? Tant s'en faut ! Les Pharisiens sont si loin de se contenter d'un vain formalisme, d'actes sans conviction ni sentiment, que dans cette même adhésion, dans cette transformation intérieure toujours indispensable, ils établissent une distinction importante ; distinction qui aurait droit de nous étonner, si nous ne savions déjà que le nom de « Religion d 'amour » n'appartient pas exclusivement au christianisme. Cette distinction est la suivante. Si c'est par crainte, soit de la puissance, soit de la vindicte, soit de la grandeur même de Dieu qu'on s'est converti, les péchés qu'on a commis ne compteront, dans la balance divine, que pour des fautes, pour de simples négligences. Est-ce au contraire par amour, par amour désintéressé de Dieu, de ses perfections qu'on est revenu à lui ? Alors, oh ! alors, les promesses les plus magnifiques sont prodiguées au pécheur. Les péchés seront convertis en mérites : tout ce qui était jusque là motif de condamnation, va devenir un titre de gloire, de bonheur éternel201. Et quel est ce bonheur ? Selon les plus modérés d'entre les docteurs, ce sont toutes les promesses faites par les prophètes à Israël202 : « Toutes les prophéties, disent-ils, ne regardent que les pénitents ; quant aux justes eux-mêmes, c'est pour eux qu'il a été dit : 0 Dieu, nul œil n'a vu (leur récompense) hors le tien ». Mais d'autres docteurs vont bien plus loin. Ils n'hésitent pas à nous apprendre203 « qu'à la place où siégeront les pénitents dans le monde à venir, les parfaits, les justes ne seront pas dignes de s'asseoir ». On ne finirait jamais si l'on voulait citer tout ce qui regarde le pécheur converti. Eux qui ont prononcé ce mot remarquable : « qu'il ne faut se donner pour chef qu'un homme qui ait de hideux reptiles sur son dos » (c'est-à-dire un passé répréhensible), afin que s'il s'enorgueillit on puisse lui dire Regarde en arrière ! Ils n'ont pas rougi de se donner pour aïeux, pour guides, pour modèles, des hommes sortis de la fange la plus abjecte, de l'immoralité et du paganisme. Le père du genre humain, qu'est-ce autre chose pour eux qu'un pénitent ? Abraham, son père Tareh, son fils Ismaël, Ruben un des pères de la nation, un des douze lui aussi, Aaron lui-même qui apprenait si bien aux autres à se convertir, n'ont-ils pas été des pécheurs ? David, le roi d'Israël, le père du Messie, lui-même n'est-il pas pour les Pharisiens le modèle de tous les pécheurs chehekim ola chel techouva204 ? Qui s'est plus enfoncé dans l'abîme de tous les vices que Achab et Manassé ? Ils sont pourtant des modèles de pénitence, que les Pharisiens célèbrent à l'envie205. Les maîtres de Hillel et de Schammaï, c'est-à-dire les pères de tous les Pharisiens, les oracles de l'école, la source de tout le pharisaïsme, - Schemaïa et Abtalion, - que sont-ils, sinon des païens convertis, des prosélytes ? Et Ben Bag-Bag et Ben Héhé, celui qui a dit : « La récompense sera mesurée selon la peine »206, et le grands Ankylos le paraphraste chaldéen, et Rabbi Akiba et Rabbi Méir et tant d'autres encore, est-ce le pur sang israélite qui coulait dans leurs veines ! Au contraire. Les Pharisiens s'honorent en disant que l'un descendait d'Aman l'Amalécite, l'autre de Sennachérib, un autre encore de Sisera, qui n'étaient pas, que nous sachions, des héros de sainteté. Qu'est-ce qu'un Rabbi Siméon ben Lakich, un Rabbi Eléazar ben Dourdeya, si ce n'est, l'un un voleur de grands chemins, et l'autre un dissolu, un libertin ? Et combien est pathétique le langage de Juda le Saint à propos de ce dernier ! Quand on lui raconta que ce pécheur venait de mourir après un accès de contrition qui n'avait duré que peu d'instants, il s'écria en pleurant : « Il en est qui n'assurent leur bonheur éternel qu'après de bien longues années de travail ; mais il en est, par contre, qui le gagnent en quelques instants  »207.

Et les convertis païens sont-ils moins bien partagés ? Le Dieu d'Israël, ce Dieu prétendu local et national, ce fétiche qu'ont rêvé Voltaire et autres, ne dédaigne pas d'envoyer son prophète en mission pour convertir les Ninivites. « Tu as bien pitié, dit-il à ce Juif qui ne savait pas s'élever à la hauteur des pensées divines, tu as bien pitié de ce kikaïon qui ne t'a coûté ni travail ni peine ; comment veux-tu que je n'en aie pas pour Ninive, la grande cité, où plus de cent vingt mille âmes se trouvent réunies ?... »208. Quel est l'exemple que les Pharisiens proposaient au peuple élu, dans leurs harangues publiques ? Nous l'avons vu : l'exemple de Ninive.

Pourquoi Israël est-il appelé le peuple du Dieu d'Abraham209 plutôt que du Dieu d'Isaac ou de Jacob ? C'est parce qu'Abraham fut le premier des prosélytes210, et que son peuple est partout où il y a de véritables croyants : idée grande et noble, que le christianisme a tournée contre cet hébraïsme pharisaïque qui fut son maître. Pourquoi les prosélytes sont-ils appelés les aimés de Dieu, tandis que les justes d'Israël sont appelés seulement ceux qui aiment Dieu ? Parce que, répond R. Siméon ben Jochaï (le chef de cette école dont nous croyons que Jésus a tout appris), les prosélytes sont supérieurs à Israël autant que les aimés de Dieu surpassent ceux qui aiment seulement Dieu211. « Oh ! que Dieu les aime, ajoute-t-il212, les prosélytes à qui sont prodigués tous les noms dont Israël a été honoré, ceux de serviteur, de ministre, d'ami ! Abraham, David s'honorent de porter le nom de guer « prosélyte». David n'a-t-il pas dit : L'Éternel est le gardien des prosélytes ?213 Mais quelle gracieuse et expressive parabole que celle employée par R. Siméon bon Jochaï pour exprimer la prédilection divine en faveur des Gentils qui abandonnent leurs erreurs ! L'Évangile n'a pas d'accents aussi beaux ni aussi éloquents : « Un père de famille avait un troupeau qui allait chaque jour paître aux champs, et revenait le soir. Une fois un chevreuil se joignit au troupeau et ne voulut plus s'en séparer. On mena les brebis au parc, et le chevreuil de les suivre ; le matin on les ramena aux champs, et le chevreuil en fit autant. De sorte que le père de famille conçut pour le chevreuil un grand amour ; il ne s'éloignait pas une seule fois de ses gens sans leur recommander de laisser le chevreuil paître à son gré, de ne point le frapper ni le maltraiter ; et le soir en rentrant, il voulait lui-même lui donner à boire. Ses serviteurs lui dirent un jour : Maître, tu as force boucs, force chèvres et agneaux ; pourquoi cette préférence pour le chevreuil ? Le père de famille leur répondit : Les boucs, les brebis et les agneaux ne font rien qui ne soit dans leur nature. C'est la nature qui les a destinés à paître le jour aux champs et à rentrer au parc le soir. Mais la demeure des chevreuils, c'est la forêt. Comment n'aimerais-je pas celui-ci, qui a renoncé à sa forêt, à ses grandes allées, à ses vastes terrains, à sa liberté, à ses compagnes, pour venir se renfermer dans mon parc ? » On devine l'application : les brebis sont Israël ; le chevreuil, c'est le païen converti, qui abandonne ses habitudes, sa vie, ses croyances, sa liberté, pour obéir au Dieu d'Israël ; et celui-ci est le père de famille, qui préfère à toutes ses brebis le fidèle chevreuil214. Nous n'en finirions pas, si nous voulions passer en revue tout ce qui, dans les écrits des Rabbins, tend à relever le caractère et la condition du païen converti. Nous dirons seulement que l'histoire des Pharisiens nous présente en mille rencontres des conversions instantanées de Gentils, chargés de l'exécution de quelque arrêt sanguinaire sur la personne des docteurs, précisément comme l'histoire du christianisme aux premiers siècles en est remplie. C'est ainsi que le geôlier de Rabbi Hanina ben Teradion s'élance dans le feu avec sa victime215 que l'hégémont chargé d'exécuter la sentence de mort sur Rabban Gamaliel se jette du haut d'un toit et meurt sur le coup, - l'un et l'autre convertis subitement ou ayant déjà professé secrètement le judaïsme, et se sauvant par la mort d'un terrible embarras. Le dernier cas fut assurément celui de Kattia bar Schalom. Son opposition à une mesure tyrannique qu'on préparait contre les Juifs le fit soupçonner de superstition judaïque et condamner aux bêtes. Il était conduit au supplice, quand une matrone le rencontrant et partageant, elle aussi, à ce qu'il paraît, les croyances judaïques, le reconnut, peut-être à quelque signe de convention adopté par le parti juif, et, d'un style que lui seul pouvait comprendre : « Pauvre vaisseau, s'écria-t-elle, qui s'en va sans payer le péage ! » Kattia comprit le sens de ces paroles ; il tira un couteau de sa poche, se coupa le prépuce et s'écria : « Voilà que j'ai payé mon péage, à présent je puis passer ». A sa mort, la fille de la voix (une voix surnaturelle) se fit entendre, disant : « Kattia bar Schalom est destiné à la vie du monde à venir ».

9.6  Mesure pour mesure

Une maxime qui se rapproche de l'amour du pécheur est celle qu'on lit dans Matthieu216 : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés ». Elle devait être bien ancienne dans le judaïsme, puisque Josua ben Perahia, que le Talmud fait précepteur de Jésus, et Hillel, qui le précéda également, s'en firent l'écho217. Le premier enseignait : « Juge de tout homme favorablement ». L 'autre : « Ne juge pas ton prochain tant que tu ne t'es pas trouvé à sa place », c'est-à-dire dans la même situation... « Car, ajoute Jésus, de la mesure que vous mesurerez on vous mesurera vous-mêmes, et du jugement que vous jugerez vous serez jugés ». Quant à cette dernière pensée, elle forme chez les Pharisiens le pendant de tout jugement favorable. « Comme tu as jugé favorablement ton prochain, sois aussi favorablement jugé dans le ciel ! » (Caschem schédan'ta lekaf zekhout, cakh kidemoucha lekhaf zekhout min haschamaïm). N'est-elle pas déjà contenue dans cette autre maxime, déjà citée, que « quiconque invoque la condamnation de Dieu sur son prochain, le premier compte qu'on examinera sera le sien ? » Mais Jésus a dit aussi : « De la mesure que vous mesurerez on vous mesurera ». Nous ne hasardons rien en disant qu'ici, idée et langage sont purement pharisaïques ; c'est une des pensées les plus familières à cette école, et l'on ne fait point un pas dans ses écrits sans la rencontrer. « De la mesure que l'homme mesure on lui mesurera », lit-on dans le Talmud218, « et non seulement la mesure entière, mais la moitié, le quart, le trentième également... Si toutes les règles peuvent faillir, il y en a une qui est invariable, c'est mesure pour mesure (ibid.)  ». N'est-elle pas, en effet, la règle suprême de la justice de Dieu ? Aussi, les Pharisiens la voient partout dans l'histoire. Si les contemporains de Noé furent submergés par le déluge, c'est qu'ils s'arrogeaient le pouvoir de faire descendre la pluie219. Si Miriam mérita que tout Israël suspendît sa marche durant, sept jours, c'est qu'elle s'arrêta quelques instants à surveiller le berceau de Moïse exposé sur le Nil220. Si Samson eut les yeux crevés, c'est qu'il n'avait consulté que ses yeux dans le choix d'une épouse. Si Absalon resta suspendu par sa chevelure, c'est qu'il était fier de ses beaux cheveux. Si la femme suspecte d'adultère porte une offrande d'orge dépourvue d'huile et d'encens, c'est qu'elle s'est ravalée au niveau des bêtes qui se nourrissent d'orge. Si le capitaine incrédule mourut écrasé par la foule des acheteurs, c'est qu'il s'était moqué des promesses d'abondance faites par Elisée, en disant : « Est-ce que Dieu ouvrira des cataractes dans le ciel ? »221 Et Hillel lui-même ne s'inspirait-il pas de la même idée quand, apostrophant un crâne qu'il voyait flotter sur les eaux, il lui dit : « Parce que tu as noyé, on t'a noyé à ton tour ; et le sort de tes assassins sera d'être noyés eux-mêmes »222.

9.7  Universalité et caractère cosmopolite du judaïsme

Ce que nous avons dit jusqu'ici de la belle place assignée aux Gentils qui abandonnent leurs erreurs ; surtout ce que nous avons observé en parlant de l'homme en général, de l'idée que s'en forment les Pharisiens, de la grandeur, de la sainteté que peut atteindre même un païen sans embrasser le judaïsme, nous dispenserait de répondre à la vieille accusation intentée aux Pharisiens de s'arroger le monopole de la vertu et du bonheur éternel, par la seule raison qu'Israël est le peuple élu et qu'Abraham fut son père. On ne peut nier que ce ne soit là le thème favori des anciens chrétiens, l'accusation qu'ils ont le plus exploitée pour rejeter le judaïsme à l'arrière-plan et frayer le chemin à leur apostolat auprès des Gentils. Dès le temps de Jésus, cette accusation retentit en Palestine. « N'allez pas dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ; car je vous dis que Dieu peut faire naître de ces pierres mêmes des enfants à Abraham  »223. Paul appelle Abraham « père de la circoncision, c'est-à-dire de ceux qui non seulement sont circoncis, mais encore suivent les traces de la foi de notre père »224. Et plus clairement au chap. IX, vers. 6 : « Mais tous ceux qui descendent d'Israël, ne sont pas pour cela d'Israël. Car, pour être de la semence d'Abraham, ils ne sont pas tous ses enfants (Banim). Mais c'est en Isaac qu'on doit considérer sa postérité, c'est-à-dire que seuls les enfants de la promesse sont réputés sa semence ». Et encore225 : « Car Dieu n'a point égard à la qualité des personnes ». Et plus loin226 : « Abraham reçut le signe de la circoncision comme un sceau de la justice qu'il avait obtenue par sa foi étant incirconcis, afin qu'il fût le père de tous ceux qui croient étant incirconcis ». Et au v. 17 : « Selon qu'il est écrit : Je t'ai établi père de plusieurs nations ». Nous avons presque répondu d'avance à cette sorte d'insinuation sur le particularisme juif, insinuation que la libre critique elle-même a quelquefois accueillie, sans réfléchir que, si particularisme il y a chez les Juifs, c'est pour être plus universels, plus cosmopolites, plus catholiques. Oui, s'ils ne se fondirent jamais dans l'humanité d'un temps, d'un lieu, c'est pour mieux être unis de cœur et d'esprit à l'humanité de tous les temps et de tous les lieux ; et si cette fusion se fût accomplie, c'en eût été fait de leur mission sacerdotale et de l'avenir religieux de l'humanité. Mais cet instinct, ce sentiment, ces aspirations à l'universalité ne se font-ils pas jour, ne trouvent-ils pas une expression dans l'histoire et les doctrines des Juifs ? Nous en avons assez parlé à propos de l' homme et des Gentils. Récapitulons cependant quelques-unes des maximes déjà citées, et ajoutons-en quelques autres plus spéciales. Nous avons vu que, pour les Pharisiens, quiconque est modeste, miséricordieux, charitable, est de la race d'Abraham, quiconque ne l'est pas n'en fait point partie, qu'il soit ou non israélite ; qu'il ne suffit pas d'être un des survivants d'Israël, si l'on n'est pas humble, si l'on ne s'estime soi-même comme un rebut227 ; qu'Abraham est le père de toutes les nations (idée que Paul a tirée, comme on voit, de la Tradition, car le texte goyim à lui seul pourrait être et a été, en effet, expliqué dans un sens plus restreint) ; qu'il est le père des prosélytes, que ceux-ci doivent appeler Abraham leur père soit dans leurs prières, soit dans le cérémonial des offrandes ; que c'est comme père de toutes les nations qu'Abraham intercède en faveur des habitants de Sodome ; que c'est en cette qualité que Dieu lui révèle ses décrets sur ces peuplades, car, disent les Pharisiens en propres termes, « est-ce qu'on punit le fils sans en prévenir son père ? ». S'il y a un nom que les Pharisiens, en toute rencontre, mettent au-dessus de celui d'ISRAEL, c'est celui d'HOMME. Aux nombreux passages déjà allégués par nous à ce sujet228, nous n'ajouterons que quelques citations du Zohar et du Midrasch, lesquelles ont une importance qu'on ne saurait contester. David avait dit : « Dieu est bon pour Israël, pour les hommes au cœur pur ». Le Zohar et le Midrasch se hâtent d'en tirer cette conclusion : « Dieu est bon pour Israël... est-ce pour tous ceux qui en portent le nom ? Nullement, mais pour ceux-là seuls qui sont sans tache, pour les hommes au cœur pur ». Dieu aime les justes, a-t-il dit ailleurs. « Pourquoi, demandent les Pharisiens ? Parce qu'ils ne le sont pas par héritage, parce que la vertu n'est pas héréditaire. Le sacerdoce et le lévitat sont des apanages de famille. Peut-on se faire prêtre ou lévite à son choix ? Non. Mais celui qui veut être juste, fût-il païen, le peut être : pourquoi ? Parce que ce n'est point un bien d'hérédité. Voilà pourquoi Dieu aime les justes ». - Quelle grande image, quelle haute pensée que celle-ci, qu'on trouve chez nos docteurs : « Pourquoi la Loi a-t-elle été comparée à l'arbre de la vie ? En voici la raison. Comme l'arbre de la vie étendait ses branches sur tous ceux qui entraient dans le Paradis, de même la Loi couvre de son ombre tous ceux qui viennent au monde »229. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que Paul emprunte aux Pharisiens leur méthode interprétative, leurs distinctions grammaticales, pour exagérer cette valeur même accordée par les Pharisiens à la vertu, et pour déchirer le vieux diplôme de l'élection d'Israël. Que veut-il dire lorsqu'il affirme que, pour être de la semence d'Abraham, ils ne sont pas tous ses enfants ? C'est la fameuse distinction que les Pharisiens avaient faite entre la valeur légale du mot ZÉRA, semence, et celle de BEN, enfant, voyant dans le premier toute espèce de descendance naturelle, légitime ou illégitime, juste ou réprouvée, et dans le second la désignation plus spéciale du fils digne de ce nom, soit sous le rapport légal, soit sous le rapport politique. Que veut-il dire, lorsqu'il ajoute que c'est en Isaac qu'on doit considérer la postérité d'Abraham ? Rien que les Pharisiens n'eussent déjà observé, à savoir la forme un peu insolite de cette expression, laquelle a donné lieu aux docteurs d'interpréter : « en Isaac et non tout Isaac », par conséquent à l'exclusion d'Esaü. Singulière destinée des idées et du langage pharisaïques, de fournir aux Évangiles toutes les armes dont ils frappent spirituellement le vieil Israël, comme les Romains le frappaient corporellement dans sa vie extérieure ! Singulière destinée de la Jérusalem des Pharisiens, harcelée à la fois par la Rome païenne à l'apogée de sa puissance, et par la Rome chrétienne au berceau, s'essayant dès lors à ce jeu enfantin qui était un parricide, - l'une la dépouillant de son manteau royal, l'autre lui arrachant la tiare de son éternel sacerdoce ! Cette Jérusalem pharisaïque, qu'on dénonçait au monde comme l'ennemie du genre humain, ne se croyait pourtant que la dernière appelée des nations, leur lieutenant, leur vicaire, leur représentant religieux, tant elle était loin d'aspirer à une élection exclusive, préjudiciable à l'humanité. Aussi ne cessa-t-elle d'exprimer sa pensée sous toutes les formes possibles. Si Dieu apparaît à Israël sur le sommet du Sinaï, s'il lui offre sa loi, c'est qu'Edom, c'est qu'Ismaël, c'est que toutes les autres nations du monde avaient été appelées avant lui, c'est que la Loi était destinée à devenir la règle, la loi universelle, et c'est par conséquent qu'elle le deviendra quand la volonté de Dieu sera accomplie. Mais il y a chez les Pharisiens une parabole, dont celle des Évangiles au sujet de la réprobation d'Israël n'est que la copie retournée, que l'image renversée. Quelle est celle des Évangiles ? On le sait : c'est un roi qui convie à un repas solennel ses grands, ses ministres, ses seigneurs, tous gens de distinction. En vain ! l'heure arrive, on attend, l'heure s'écoule et personne ne se montre. Alors le roi dit à ses serviteurs : Allez sur la voie publique et introduisez toute sorte de personnes, sans distinction de rang ni de noblesse. Le sens n'est-il pas manifeste ? Eh bien ! Qu'on entende les Pharisiens : « Un roi donna un grand dîner et y invita tous ses hôtes. On attendit longtemps, mais inutilement. Enfin, vers le soir, QUELQUES hôtes parurent. Le roi les reçut avec joie et leur dit : Grâces vous soient rendues ! Car sans vous tout ce grand repas que vous voyez eût été perdu, et j'aurais dû le jeter. C'est ainsi, concluent-ils, que Dieu dit à Israël : Grâces te soient rendues, car sans toi à qui aurais-je pu le donner, ce grand trésor que j'ai préparé pour l'avenir ?  »230.

Il est inutile de rien ajouter. Chacun voit les points très saillants de ressemblance entre les deux paraboles et chacun en voit aussi les différences, les grandes différences, motivées par la position contraire qu'avait prise le christianisme. En présence de ces paraboles on se demande : De ces deux types, de ces deux formes d'une même pensée, l'une qui voit dans l'intention primitive de Dieu l'exclusion du genre humain, et seulement dans le refus d'Israël l'admission de l'humanité, l'autre qui fait de la pensée première de Dieu une pensée de justice, d'amour, de charité universelle, et qui dans d'élection d'Israël ne voit qu'un pis-aller, qu'une réalisation partielle des vues divines ; en présence, dis-je, de ce contraste entre les deux types, le type juif et le type chrétien, on se demande lequel des deux est le plus grand, le plus noble, le plus juste, le plus humanitaire, le plus digne de Dieu...

La réponse, je crois, n'est pas douteuse.




Morale juive et Morale Chrétienne - Elie Benamozegh (1822-1900)

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